La maladie opportuniste des qualificatifs
Je suis rentré en France depuis un peu plus d’un mois maintenant. J’écoute beaucoup la radio, et je regarde un peu la télévision. Cela me permet de me reconnecter à ce monde français qui m’est devenu quelque peu étranger.
Un certain nombre de faits m’étonnent. Aujourd’hui j’aimerai mettre le doigt sur cette nouvelle maladie opportuniste qu’est l’emploi des qualificatifs.
Les qualificatifs, que ce soit des noms ou bien des adjectifs, servent à qualifier une personne, un objet, une idée, un concept, etc. Ils peuvent être positifs ou bien négatifs. Sans avoir la volonté consciente de juger, ces adjectifs permettent à ceux qui les emploient, de qualifier ou bien de disqualifier telle ou telle chose. Et l’air de rien, on peut passer de nombreuses idées par le biais d’informations qualifiées.
Quelques exemples :
Le 20 mars 2019 vers 8h00, France Info interviewait Monseigneur Pontier sur le refus du Pape d’accepter la démission du Cardinal Barbarin. On lui demandait s’il comprenait la rupture qu’il y avait entre les français et le Pape. En employant le mot « rupture » la question était biaisée.
Le journal Closer utilise l’expression « terrible drame » pour annoncer l’amputation de Brandon Sonnier après un accident sur le tournage de la série L.A.'s Finest. (02 mars 2019 à 17h48 sur la version numérique) ? En revanche, pour évoquer le génocide des Rohingyas, le site de R.F.I. titrait « Drame des Rohingyas: le message "très clair" de la France » (13-02-2018), de même que Courrier International « Pour résoudre le drame des Rohingyas, encore faut-il demander leur avis » (15/11/2018). Amputation d’un côté, nettoyage ethnique de l’autre, mais on utilise le même vocabulaire.
Les chaînes d’info continue utilisent des mots très spécifiques pour déployer leur vision de la réalité. Si il y a un rassemblement, on parlera tantôt d’association et tantôt de lobbys. Dès qu’il s’agit de rassemblement LGBT, on utilise le mot « association » tandis que lorsqu’il s’agit de catholiques, on parle en termes de « lobbys », or, en France, le mot « association » est connoté positivement. Au contraire, le terme « lobbys » est péjoratif.
Je pourrais vous donner bien d’autres exemples mais cela ne servirait pas à grand-chose. Vous l’avez compris, le monde du journalisme souffre non seulement d’une mauvaise grippe de vocabulaire, mais, et c’est plus grave, d’une déficience de l’accommodation visuelle, autrement dit, un problème de distance et de mise en perspective.
Il ne s’agit non plus de former mais d’informer, c’est-à-dire – comme l’indique sa racine – de « décrire », de renseigner. Il s’agit donc de marquer les esprits, de heurter avec des mots choisis. Les qualificatifs sont là pour faire réagir, pour susciter de l’émotion, et donc du chiffre d’affaire. Car le nerf de la guerre du journalisme, n’est plus le désir, la volonté d’avertir les consciences et de donner du sens, mais bien de vendre. Georges Bernanos, en son temps, avait bien compris que l’enjeu n’était pas de faire une république d’honnêtes citoyens, mais de créer un troupeau de moutons : « Être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, tel est le sort des imbéciles. »
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter ces liens.
- Cet article de fond tirée du Monde diplomatique
Les médias reflètent-ils la réalité du monde ?
- Cet article de fond tiré de la revue Hermes la revue
Le médium n'est pas soluble dans les médias de masse